Babylon – L’Ode à l’Histoire du Cinéma

Au ciné !

Le coup de cœur de cette semaine à ne manquer sous aucun prétexte c’est Babylon, le nouveau film réalisé par Damien Chazelle. Après les très bons Whiplash, La La Land & First Man, le réalisateur réitère l’expérience au côté du compositeur Justin Hurwitz pour un spectacle dantesque.

De quoi ça parle ?

Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, Babylon retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limite.

Pourquoi le voir ?

A cette époque le cinéma était encore un art considéré comme mineur pouvant s’éteindre à tout moment, parce que petit frère mal aimé du théâtre. Comme tout art, il a été soumis comme aux autres à des courants et des évolutions.

Babylon est une ode à l’histoire du cinéma mettant en scène cette transition; ce qui était encore fou et instinctif devient calculé et méthodique.

Comme pour ses précédents films, Chazelle met en image la passion. On suit des gens qui vivent pour leur passion et qui pourraient mourir pour elle. Souffrir temporairement pour accomplir quelque chose d’éternel.

Que ce soit les costumes ou les décors, l’ambiance transpire les années 1920-30. La musique pioche davantage dans un free jazz plus tardif et sera martelée tout le long avec des thèmes récurrents qui évolueront à travers le récit. Le parti pris stylistique constitue un bel écrin qui ne nous laissera, à coup sûr, pas de marbre.

The golden hour

Vous savez ce qu’on doit faire ? On doit casser les codes ! Coucher nos rêves sur la pellicule pour qu’ils entrent dans l’histoire. Qu’on puisse regarder l’écran et se dire : Eurêka ! Je ne suis plus tout seul !

Jack Conrad

Ce qui suit contient de nombreux spoilers.

Des références jusqu’à plus soif

Jack Conrad / John Gilbert

Jack Conrad (Brad Pitt) est une référence directe à John Gilbert, que ce soit à travers le style, la coiffure et la façon d’être. Il est une énorme star silencieuse qui a connu ce tournant dramatique. Il s’est marié quatre fois et est décédé jeune à la suite d’une crise cardiaque diagnostiquée à cause de son penchant excessif pour l’alcool.

Nellie LaRoy (Margot Robbie) est une grande actrice en devenir.
Elle démarre sa carrière pendant l’ère du cinéma muet mais a du mal à faire la transition vers l’ère du son. Il existe de nombreux exemples d’énormes stars dans les films muets qui se sont estompées une fois que le son est entré dans l’image.

Margot Robbie a déclaré s’être inspirée principalement de deux stars du cinéma muet :
Mabel Normand qui a travaillé avec Charlie Chaplin et Fatty Arbuckle et qui a subi plusieurs scandales, décédée à l’âge de 36 ans.
Et Clara Bow, à l’enfance sombre qui rappelle celle de Nellie, énorme star, également connue sous le nom de « The It Girl », qui fait écho au surnom, « The Wild Child ». Sa carrière s’est terminée à à peine trente ans.

Nellie LaRoy / Clara Bow
Lady Fay Zhu / Anna May Wong

Lady Fay Zhu (Li Jun Li) est inspirée d’Anna May Wong, une figure historique fascinante, icône de style et actrice des années 1920 qui a néanmoins eu du mal à se faire une place au sein d’Hollywood. L’une comme l’autre sont parties en Europe dans l’espoir de trouver des rôles plus intéressants.

Manny Torres (Diego Calva) est un immigrant mexicain qui gravit les échelons du système des studios hollywoodiens.
Il démarre en tant que serveur, assistant puis fini producteur. Chazelle cite pour inspiration René Cardona, un immigrant cubain devenu directeur de studio historique durant la même époque. Calva a déclaré qu’il s’était principalement inspiré des latinos de cette époque à travers des archives d’époques.

Manny Torres / René Cardona
Sidney Palmer / Louis Armstrong, Duke Ellington & Bessie Smith

Sidney Palmer (Jovan Adepo) porte un rôle secondaire clé dans le film.
Il commence en tant que membre du groupe lors de la séquence d’ouverture, puis joue en direct sur le plateau des premiers films muets. Lorsque qu’Hollywood passe au son, il attire l’attention et l’oreille de Manny et devient la vedette de plusieurs comédies musicales, mettant en vedette de la musique jazz.
Dans les comédies musicales hollywoodiennes des années 1930, certains musiciens de jazz populaires sont apparus comme eux-mêmes, notamment Louis Armstrong et Cab Calloway. Damien Chazelle a évoqué également Duke Ellington, Ethel Waters et Bessie Smith comme autres influences.

Elinor St John (Jean Smart) est rédactrice dans Photoplay, un véritable magazine ciné de l’époque.
Elle est spectatrice de tout ce mouvement protéiforme. On peut affirmer qu’elle est une version fictive de Louella Parsons, la chroniqueuse la plus influente d’Hollywood pendant plusieurs décennies.
Toutes les deux connaissaient William Randolph Hearst ainsi que la starlette Marion Davies, maîtresse de celui-ci, qui apparaissent lors de la scène du déjeuner mondain.
Chazelle a également mentionné l’écrivaine Elinor Glyn et la journaliste Adela Rogers St Johns comme inspirations pour le personnage de Smart et le film All About Eve avait influencé son écriture du personnage.

Elinor St John / Louella Parsons, Elinor Glyn & Adela Rogers St Johns
James McKay / Mickey Cohen, Jack Dragna & Bugsy Siegel

Los Angeles a connu un certain nombre de gangsters notoires dont Mickey Cohen et Bugsy Siegel, surtout influents dans les années 1930.
On peut aussi citer Jack Dragna, dirigeant de la mafia de Los Angeles et roi de la criminalité, du trafic illégal et organisateur de jeux clandestins.
Quant à l’existence des souterrains criminels de Los Angeles, où l’on y croise des ‘freaks‘ et d’autres gens peu fréquentables, où McKay emmène Manny, cela relève apparemment d’une légende hollywoodienne.

Bien que plusieurs grands noms de studios soient évoqués, comme la MGM ou la Warner Brothers, le Kinoscope est le studio fictif qui rend pleinement hommage à la Paramount Pictures dont on suit principalement l’évolution.
Il été bâti sur un terrain vague à Piru dans le comté de Ventura en Californie et s’inspire en grande partie des studios et des décors en plein air des années 1920.
Le Kinoscope est à l’origine un studio de quartier pauvre, dépouillé et désert. La place était parfaite pour accueillir l’émergence d’une telle explosion de créativité.

Le miroir de deux époques

A partir du milieu de film, toutes les scènes des première et seconde parties se font écho :

  • Nous retrouvons la fête complètement folle en ouverture qui se transforme en déjeuner mondain.
  • Le concert lors de la scène d’ouverture se transforme en solo de trompette face à une caméra.
  • La devanture de Kinoscope dressée à l’aide de deux poteaux en bois nous présente un terrain désert qui deviendra à la fin du film une devanture majestueuse en béton sculpté, gardant de colossaux studios.
  • Lors du tournage de la première scène, le co-réalisateur annonce « Camera and sound ! » par-dessus la jambe, il continuera d’annoncer ces mêmes mots mais avec beaucoup plus de prudence. Les incendies et les cris qui n’importaient pas les équipes de tournage se transforment en une ouverture de porte qui compromet toute une scène.

Un hommage de plus

Au delà du parallèle que l’on peut faire avec Once Upon A Time In Hollywood, à plusieurs niveaux, on retrouve Margot Robbie et surtout Brad Pitt dans le rôle d’un pseudo italien catastrophique, pour notre plus grand plaisir, et ça c’est beau.